« le tourbillon des fleurs fanées »

Est-elle devenue « folle », mot à la mode dans le voisinage ? Elle entend des pas dans le couloir, restant persuadée qu’ils vont s’arrêter devant sa porte. Parfois même, quand il fait beau et qu’elle s’allonge sur son balcon, elle entend le bal des voitures, en se disant qu’une d’entre elles va bien finir par se garer sur la place réservée à ses visiteurs.

Cela fait des semaines, des mois, des années que ça dure. Le temps file…sans elle.

Chaque matin pourtant, elle s’habille, se maquille, enfile ses bagues, puis sa paire de lunettes. Toujours dans cet ordre précis. Chaque matin elle se met à jour dans les nouvelles, sans faire attention à la date, puis s’en va suspendre le temps…sur un banc.

Toujours le même banc, tacheté par les épreuves des saisons, des mois, des années. Elle attend, elle observe tous ces gens en s’imaginant leur vie : sont-ils heureux ? Ont-ils des regrets ? Ont-ils fait les bons choix ? Evidemment, elle a eu le temps de faire le tour de ces questions en ce qui la concerne, elle ne sait d’ailleurs même plus ce qui la concerne. Elle se voit dans une bulle à des années lumière de cette vie trépidante, cette vie de fourmis de va-et-vient, cette vie qu’elle a délaissé, il y a des semaines, des mois, des années.

Elle sourit aux passants sans savoir pourquoi, elle répond aux bonjours des commerçants, demande des nouvelles par politesse aux connaissances qu’elle croise mais n’en retient absolument aucun détail. Elle est là, sur ce banc, c’est tout ce qu’elle sait.

Elle sait aussi que viendra le jour, où les tourbillons de la vie lui balaieront un bouquet de fleurs provenant du passé qu’elle tente d’enfouir, sur ce banc. Seulement, avec les semaines, les mois, les années, les fleurs balayées seront fanées. Il sera alors venu le temps pour elle, d’apercevoir le banc d’en face, avec une place.

Alors elle repartira, comme elle le fait toujours. Mais à partir de ce jour, elle saura que les bancs sont pour les oubliés, et qu’elle, elle ne peut oublier.

La vérité, c’est qu’elle s’est trompée de place, dès le début.