Une messe noire dirigée en maître par le légendaire et possédé Nick Cave
Ma route et celle de Nick Cave se sont souvent croisées au travers d’autres artistes. Adoratrice que je suis de Marianne Faithfull et amatrice de PJ Harvey pour lesquelles il a composé (et partagé un bout de vie avec la dernière), j’ai souvent gravité autour de ce génie sans véritablement marquer un temps d’arrêt sur scène juste pour lui. A une période assez sombre, tant bien qu’elle le fut et le sera encore demain, le best of de Nick Cave & The Bad Seeds a souvent tourné sur ma platine (avec « When Doves Cry » de Prince), et je ne vous le conseille pas vraiment ! En effet, on ne peut pas dire que la musique de Nick Cave soit très gaie, sans parler de ses textes bibliques et mystiques…et je ne parlerai pas de l’album Murder Ballads avec ses compositions dédiées aux meurtres, même s’il y signe son plus beau duo avec Kylie Minogue :
Mais Nick Cave bordel c’est qui ? Au premier abord, on y voit un grand maigrichon à la coupe de cheveux improbable, fraichement soixantenaire. Et puis ensuite, on tombe raide dingue d’une voix, puis des mélodies, puis des textes, puis de la gestuelle et paf, la magie opère. Il a eu plusieurs vies, plusieurs groupes (Birthday Party, Bad Seeds, carrière solo, etc), plusieurs collaborations, mais l’essence de son talent elle, reste intacte.
Frappé en 2015 par la mort accidentelle de son fils Arthur, 15 ans (chute d’une falaise sous LSD), Nick a sorti le très bel album Skeleton Tree, avec les Bad Seeds, avant de sortir un documentaire en noir et blanc sur la construction de cet album, pour enfin reprendre le chemin des salles obscures. Enfin, il était venu, pour moi, le temps de le voir lui, rien que lui.
Je suis épatée, le public est jeune, du moins dans mes âges : 22-33 ans. Je pensais plutôt être entourée de quinquagénaires. Cependant, on remercie les étrangers de remplir le Zénith. La date du 3 octobre est sold-out (il joue également ce soir), mais mes voisins de fosse sont italiens, portugais, anglais…je ne cesserai de le répéter, la France a un problème dans sa culture musicale, à force de matraquer les médias avec les mêmes « merde » en boucle…On va encore me reprendre sur le mot « merde », oui, c’est un jugement, mais lorsque tous les courants musicaux seront mis au même niveau dans l’accès à l’information, et qu’on pourra parler de réelle diversité culturelle, je changerai de mot.
Arrivée à 20h10 dans le Zénith, bizarre, pas de 1ere partie, pourtant indiquée sur le billet. Tant pis, ça me laisse le temps de faire pause pipi (très important à souligner dans ce live report), pause bière, donc re-pause pipi, et de me placer dans la fosse, environ au 5e rang.

20h35, la salle est tamisée de bleue, une musique d’ambiance gothique avec une voix grave récite un texte, bon…C’est parti !
Les musiciens arrivent les uns après les autres. Quel bonheur de retrouver Warren Ellis (compagnon de scène également de Marianne Faithfull) ! Quant à Nick, il ferme la marche, la foule l’acclame et moi je reste transie, merde, j’y suis ! L ‘ouverture se fera sur Anthrocene, extrait de son dernier album. Nick l’interprète presque à cappella et nous ouvre les portes de son univers, à la fois sombre, torturé mais délicat. L’écriture des paroles telles des poèmes peut être frustrante pour les non anglophones comme moi mais pour le titre suivant, Jesus Alone, toujours issu de Skeleton Tree, le sens ne pouvait échapper à personne : « Tu es tombé du ciel et tu t’es écrasé dans un champ près du fleuve Adur, avec ma voix, je t’appelle »…

Sur scène, j’y ai vu un mélange de plusieurs personnalités du rock (Jim Morisson flagrant sur Tupelo avec du Ian Curtis, Talking Heads, Mick Jagger, Jarvis Cocker) mais la plus frappante reste celle de Dave Gahan. Je suis restée scotchée ! Dans quel sens le dire : du Dave Gahan en Nick Cave ou du Nick Cave en Dave Gahan ? Certainement aucune de ces phrases mais leur gestuelle est similairement troublante ! Il ne tient pas en place, tourne en rond, hurle, lance ses bras de façon distinguée vers la foule, habillé d’un costume noir et d’une chemise (bon…le col de la chemise est un peu démodé mais passons), bref il occupe la scène ! Ce mec a une telle prestance, un charisme ! C’est ce qui fait toute la différence entre les bons compositeurs et les génies sur scène, le côté charisme naturel, ça ne s’apprend pas, ça s’incarne, et Nick Cave le porte à merveille. Et puis cette voix, quelle voix ! Caverneuse, grave, robuste et claire à la fois, pas besoin de retouche studio.

La scène est très épurée, seuls 2 écrans géants appartenant au Zénith diffusent le live en noir et blanc pour les bourgeois assis dans le fond (je rigole, ne vous offusquez pas) et quelques spots réglés sur 3 couleurs : le bleu, le rouge et le jaune-blanc (ouh-ouh que de folie) balaie la salle. Un écran géant dans le fond de la scène ne servira qu’à 3 reprises, l’une avec des nappes vertes, l’autre avec un fond de plage grain sépia, et le dernier avec la chanteuse Else Torp chantant sur Distant Sky. Nick est entouré de 6 musiciens (guitare, basse, batterie, piano, violon, xylophone, simple caisse claire) qui eux aussi, sont sans fioriture, mais assurent la mesure. Mention spéciale à l’ingé son pour la perfection de la balance. La boule de la grosse caisse me raisonne encore dans le ventre.

Nick Cave est communicatif, bien plus que je ne l’aurais cru. Il salue la foule à de nombreuses reprises, remercie en français, touche les mains des premiers rangs, répond aux fans « je t’aime aussi », et se permettra de s’engouffrer dans la fosse pour le final de Weeping Song et Push The Sky Away (euh…se retrouver à 1m de ce génie, on sent ridicule et impossible de faire des photos convenables, ça bougeait trop). Enfin, il fera monter une bonne trentaine de fans sur scène pour l’accompagner sur les 2 derniers titres du set ! En plus d’avoir de la classe, il a une grande humilité, le respect de son public.

Alternant le piano et le micro, Nick Cave est toujours sur un fil. A la limite de l’explosion, tout est dans la retenue, la maîtrise de chaque note, laissant planer une atmosphère pesante mais émouvante (que dire de Jubilee Street).
Si on n’adhère pas à l’univers de Cave, c’est mal parti pour apprécier le concert, mais si ses musiques vous touchent, alors vous sortirez de la salle comblé(e). La palette des ses compositions mystico-ésotéro-gothico-poétiques (oui, rien que ça) ne peuvent cependant pas laisser indifférente, et lorsque celles-ci s’emballent (Tupelo, Red Right Hand, Stagger Lee, From Her to Eternity…) alors le fauve qui sommeille en lui se libère dans une rage viscérale haranguant tout sur son passage. J’avoue que le moment que j’attendais était Weeping Song…qu’est-ce que j’ai pu l’écouter et qu’est-ce que je peux toujours l’écouter. Il faudra attendre le rappel pour l’entendre dans une version réorchestrée de folie :
Après 2h20 de show, Nick Cave s’en est allé aussi simplement et dignement qu’il était arrivé, suivi de ses musiciens cachés par la foule massée sur scène. Si je devais émettre un petit bémol, il concernerait la taille de la salle. Je pense que pour apprécier comme il se doit la véritable grandeur de l’artiste, il faudrait avoir la chance de le voir en live dans de petites salles comme l’Olympia. Cependant, ce moment fut d’une très grande beauté pour les oreilles. Aussi solennel qu’il soit, à l’image de ce grand monsieur, le concert n’était à ne pas manquer. Décidément, les Australiens recèlent de sacrées pépites dans le milieu du rock.
PS : pour la première fois, ma carte SD m’a lachée. J’ai réussi à en récupérer quelques photos mais pas les meilleures:-(

Setlist
- Anthrocene
- Jesus Alone
- Magneto
- Higgs Boson Blues
- From Her to Eternity
- Tupelo
- Jubilee Street
- The Ship Song
- Into My Arms
- Girl in Amber
- I Need You
- Red Right Hand
- The Mercy Seat
- Distant Sky
- Skeleton Tree
- The Weeping Song
- Stagger Lee
- Push the Sky Away
