Une Beth de scène aux mille paillettes, sans filtre et sans complexe
La dernière fois que j’ai vu Beth Ditto, elle triomphait au sein de Gossip, c’était en 2012 au Zénith de Paris. J’avais plongé dans le phénomène avec la sortie de Music For Men et le titre Heavy Cross (2009), bien que le groupe existait depuis une dizaine d’année. Le groupe était à son apogée, après avoir essuyé les plâtres teintés d’un rock punk garage, avant de virer vers une pop plus accessible avec A Joyfull Noise (2012). Je me rappelle très bien de cette soirée car j’y ai vécu ma plus belle des premières parties jamais vécues : Austra.

Hélas pour nous, le trio n’étaient plus sur la même longueur d’ondes entre une Beth Ditto de plus en plus impliquée pour les droits LGBT, et un Nathan devenu un pieu pratiquant aux propos blessants, souhaitant quitter cette vie d’artiste et retourner dans son Arkansas natal. Gossip c’était une histoire d’amis voulant fuir leur village puritain et tout ce que l’Amérique représentait, pour se sentir vivant et assumer leur différence. Le départ de Nathan signa l’arrêt définitif du groupe et laissa une Beth Ditto désemparée. Mais c’est sans compter sur les rouages de la vie : entre temps, Beth s’est mariée, a lançé une marque de vêtements avec Jean-Paul Gaultier et a commencé à expérimenter une carrière solo avec son premier EP éponyme, sorti en 2011.

Il faudra attendre 6 ans avant que l’artiste XXL (physiquement et talentueusement) sorte son premier album, Fake Sugar, à cheval entre ses origines « red-neck Arkansas USA », le blues, le rock, la pop, et surtout, des textes personnels. 6 ans, elle a pu reprendre un rythme qui lui convient, écrire et composer selon ses envies, ses inspirations, et plus à la commande comme ça devenait le cas avec le succès de Gossip. Difficile de satisfaire le panel des critiques lorsque l’on se lance dans une carrière solo alors que le groupe que l’on dirigeait avait toutes les louanges. Refaire la même musique n’aurait pas d’intérêt, et prendre le chemin opposé serait incompris des fans de la première heure. Très souvent les carrières solos sont embrassées par des artistes dont l’ego est étouffé au sein d’un groupe au leader macrophage, avec le besoin de prouver ou d’assouvir un besoin de composer en leur seul et unique talent. Très rares sont ceux qui dépassent l’aura de leur groupe originel et ils y reviennent la queue entre les jambes. En ce qui concerne Beth Ditto, le choix de la carrière solo fut au départ par dépit, pour être désormais totalement assumé. Exit Gossip, on ne vient pas voir Gossip, ni la chanteuse de Gossip, on vient voir la charismatique et exubérante Beth Ditto.
En tournée depuis le 20 septembre dernier, les billets pour la date du Bataclan ont tous été vendus en 2 jours. Autant dire que le moment était attendu de pied ferme, à la fois de la part du public, mais surtout de la part de Beth Ditto, toute excitée sur les réseaux sociaux et en ITW la veille sur la 5. Cette dernière, qui a annulé sa venue au festival Ouest Park prévue le 6 octobre (pour être certaine d’assurer sa prestation parisienne??), a bel et bien orchestrée une folle ambiance comme elle sait si bien le faire.
La salle est pleine. Je n’ai pas assisté à la première partie, assurée par Annabel Allum mais j’arrive à bien me placer en fosse. La scène est surplombée d’un drap « Beth Ditto » reprenant la police d’écriture de Fake Sugar (un petit côté country), sur des bandes colorées aux formes gracieuses rappelant le drapeau PACE. Tout y est, Beth c’est ça.

Le concert annoncé à 20h30 commencera avec cinq petites minutes de retard, avec le titre Oh My God, taillé pour l’entrée en matière. Riffs graves et carrés, accompagnés d’une frappe millimétrée peu complexe, sublimés par un refrain entêtant.
Beth, toute de paillettes vêtue dans une robe moulante, est entourée de quatre musiciens, : 2 hommes, 2 femmes, avec Allie Alvaredo désignée comme une « fucking genius » (après avoir fait 2 notes de piano). Elle les présentera dès la 3e chanson et se moquera gentiment de son bassiste qui ne comprend rien à la langue française. Dès la fin de l’intro, le naturel de Beth Ditto qu’on lui connait se manifestera, en expliquant qu’il fait trop chaud pour que son putain de rouge à lèvres puisse tenir (tout en essuyant ses dents et en raclant sa gorge). Ouf, on a perdu Gossip, mais pas Beth. Certes, il est loin le temps où elle terminait sur scène en culotte-brassière les cheveux transpirants et collants, mais par chance, elle a su rester intacte et sans compromis face à ses envies. Ce soir, elle a envie de parler, toujours sur un ton parfois cynique, parfois comique, parfois touchant. Personne n’oublie qu’il est ici, dans cette salle du Bataclan, et Beth nous remerciera d’être venus et nous demandera de ne pas avoir peur et de continuer à venir et à vivre la magie des concerts.

Le son de la salle est subtilement calibré et les cinq titres s’alignent à une vitesse folle. Les 25 premières minutes concerneront Fake Sugar, et ces nouvelles compositions sont taillées pour les concerts ! Le relief du live n’est évidemment pas comparable au son studio, mais un album prend vie lorsque ce dernier est exprimé sur scène. Le public est juste conquis, que ce soit par ce qu’il entend et par ce qu’il voit. La magie Beth Ditto opère au simple regard et à la simple vocalise libérée. Sa voix est impressionnante de justesse et de contraste. Elle ne force pas, elle en fait ce qu’elle veut : claire, puissante, douce, profonde, grave. Elle a du travailler dur car cette voix de gorge n’était pas aussi constante auparavant. Elle bouge beaucoup moins également « qu’auparavant » mais elle occupe la scène, de droite à gauche et regarde chaque personne du public afin de se nourrir de cette folle énergie qu’elle dégage et qu’on tente de lui renvoyer. On ne peut pas lui donner moins que notre joie du moment, elle donne tellement, qu’on se sent obligé de lui montrer qu’on l’aime. Une personne lui criera « je t’aime » et Beth lui répondra en y rajoutant un faux « snif » dans le micro pour marquer le fait que ça la touche. Oui, elle est touchée, voire bouleversée d’être ici, à la limite de sembler surprise d’être adulée et se mettant souvent dans la position de spectatrice elle-même de la soirée.
Elle fera monter des gens sur scène, l’un d’entre eux lui donnera un manteau de fourrure rouge qu’elle mettra le temps d’une chanson, avant de lui rendre en lui disant « my god, je dois te le rendre, je n’ai pas les moyens de me l’acheter et il fait froid dehors, tu vas en avoir besoin ». Dans le public trentenaire, quelques fans arborent des jupes et robes à paillettes, même de beaux mecs à barbes…Ambiance ambiance.

La chaleur est écrasante, elle en rigole et s’essuie le visage à plusieurs reprises en faisant des private joke à ses musiciens « humour américain ». Le mot d’ordre sera bien évidemment la fête mais également le respect. Elle a un immense et profond respect pour le public. Elle tente de parler français, elle échange, elle est maquillée, coiffée d’un chignon surélevé à la frange rectiligne, elle brille. Intimidée ou gênée par toute cette reconnaissance, Beth a su garder un côté naïf, simple et désinvolte, en contraste avec la précision de son chant et l’exigence de la scène. Elle porte la salle à elle seule. Bien que la guitare, le synthé, la basse et la batterie soient au service de morceaux très efficaces et faits pour la scène, sans une meneuse comme Beth Ditto, le public ne serait pas aussi facilement malléable. Elle réussit à nous faire oublier son surpoids et à la voir dénudée comme elle est réellement à l’intérieur.
Arrive les deux titres que j’attendais le plus, interprétés l’un après l’autre, à savoir Open Heart Surgery, issu de son EP (qu’est ce que j’ai pu l’écouter), et Ooh La La, issu du nouvel album. L’énergie dégagée est juste transcendante. Putain on pue, on transpire, on saute, on chante faux, on ne comprend pas forcément tout ce qu’elle nous raconte, mais bordel qu’est-ce qu’on s’en tape le cookie ! On a en face de nous une putain de nana qui s’assume dans tout ce qu’elle peut représenter, qui nous offre des chansons de folie, et qui les chante avec ses tripes. On vit, on revit, dans cette salle tragiquement célèbre où le spectre du drame flotte au rythme des notes.

Niveau surprise, le set nous a offert une reprise d’Erasure, A Little Respect. Pour celles et ceux qui ne situent pas Erasure, sachez qu’il a été fondé par Vince Clark, ex Depeche Mode et Yazoo. On connaîtra également deux petits moments de répit avec Lover en hommage à Elodie, victime des attentats du 13 novembre, et Clouds, que Beth a dédié à son papa disparu en 2011.
Bien sur, l’ombre de Gossip n’est jamais bien loin, et lorsque les premières notes de Love Long Distance et Standing In The Way Of Control sont jouées, la foule tombe dans une excitation folle. L’euphorie sera frôlée (fosse jumping & gradins debout) pendant Heavy Cross et Fire, clôturant le concert de façon explosive.
Après 1h15 de concert sans pause, Beth et ses musiciens nous disent au revoir ! Non mais y’a un souci !! 1h15, déjà ?? D’une je n’ai pas vu le temps passer, et de deux, bah c’est beaucoup trop court ! Beth quant à elle, a du mal à quitter la scène. Elle fera la chenille avec sa sœur et une amie (WTF ?), puis tentera d’appeler sa mère via facetime en nous demandant au préalable si on avait le temps et si le chauffeur du bus n’était pas trop pressé..Hélas, sa mère ne décrochera pas, mais ça n’enlève rien au fait que ce soit une femme exceptionnelle et trop gentille et qui adore quand sa petite Beth l’appelle à n’importe quelle heure. Dommage, j’aurais aimé voir sa mère en facetime ! Elle chantera ensuite un couplet de l’Homme à la Moto d’Edith Piaf, avant qu’on lui coupe le micro et qu’elle nous souhaite une bonne nuit et de beaux rêves, toute émue et survoltée à la fois.

Beth Ditto c’est une bichromie à l’état brut, une face expansive et une face timide. Finalement, appeler son album Fake Sugar lui ressemble, le faux côté sucré cache toujours une autre saveur. Aller voir Beth Ditto sur scène c’est une dose de Prozack qui vous provoquera une sacrée retombée une fois le concert terminé. C’est une artiste intègre, qui a galéré et qui a enfin pu s’acheter une petite maison dans l’Oregon grâce aux droits d’auteur d’Heavy Cross utilisée dans une pub de parfum et qui va vous porter vers le summum du bonheur de vivre le moment présent et de s’accepter comme nous sommes. Une petite boule d’énergie à la voix incroyable et maîtrisée, sachant moduler les notes pour en sortir des titres pop acidulés aux contours bluesy-rock. Alors, sans filtre, je tiens à vous remercier pour ce moment d’une très grande générosité et musicalité, dans sa forme la plus simple et la plus altruiste : jouer pour le plaisir.

Beth Ditto a réussi le pari de phagocyter l’Ère Gossip, sans pour autant l’oublier. Elle sait d’où elle vient, ce qu’elle veut, ce qu’elle fait et le réalise parfaitement. On pourra toujours critiquer le virage assumé vers une musique plus accessible, mais je peux vous assurer que Fake Sugar en live laisse présager encore de très belles années à suivre Beth Ditto dans sa traversée solitaire. Espérons simplement que les futurs set dépassent les 1h15…Quoique, certaines ont tout de même du mal à s’en remettre >< :
Pour info, le concert d’hier soir a été filmé en VR (réalité virtuelle), une première mondiale. Toutes les infos ICI
Setlist :
- Oh My God
- In And Out
- I Wrote The Book
- Fake Sugar
- Open Heart Surgery
- Ooh La La
- Lover
- Love Long Distance
- We Could Run
- A Little Respect
- Standing in the Way of Control
- Clouds (Song for John)
- Heavy Cross
- Fire